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La recherche : Esthétique de la souillure

Puisque tout rite magique, nous l’avons vu, procède de l’art, il faut à présent évoquer le besoin de souillure des traditions étudiantes.

 

Ce que l’on perçoit des traditions des escholiers, c’est le soin.  Il faut donc imaginer l’apposition de la boue rituelle, ainsi que les denrées utilisées à mêmes fins, comme autant de pratiques de guérison. Mais de quoi donc doit-on guérir des étudiants fraichement arrivés, vierges de toute approche ?

Le problème ne se pose pas sous cet angle.

Nous avons un corps constitué des étudiants plus anciens, toutes années confondues, et fonctionnant tous ensembles. Pour ce corps constitué, nous pouvons envisager l’arrivée des nouveaux comme un corps étranger venant s’incruster en lui. Dès lors, il faut, par le rite, rendre le corps étranger compatible avec le corps constitué.

C’est là où Mary Douglas nous donne à comprendre que les rites de pureté et d’impureté sont d’origine religieuse. Que pour agréger un individu tabou, il suffit parfois de le recouvrir de boue (qui a parfois même un effet purificatoire non symbolique pour la peau), d’uriner dessus, voire même de lui faire avaler le sperme du sorcier.

Ces pratiques magiques, qui sont fort atténuées au niveau des étudiants, sont en fait à prendre comme une forme de nettoyage symbolique du corps étranger que sont les arrivants, en les recouvrant de produits vils mais agréés au sein de leur société, et qui auront une fonction nettoyante des individus.

La souillure rituelle n’a donc pas une valeur de rabaissement statutaire des autrui, mais bien une fonction de préservation du corps constitué par l’agrégation des nouveaux.  L’ethnologue Brigitte Larguèze, dans son excellent rapport, remarque le lien entre le déguisement, et la souillure liée à ce dernier. Rien n’y est laissé au hasard, selon un processus très créatif et très libre. «Selon les écoles, cette modification de l’apparence varie d’un extrême à l’autre, de l’hyper-correction vestimentaire au débraillé méticuleusement construit, du seul port distinctif d’un couvre-chef aux effets déstabilisateurs d’un grimage et d’un déguisement inquiétants.» mentionne-t-elle. Dans tous les cas, les blouses, biaudes, et autres oripeaux de traditions ne se lavent pas (en dehors des tenues d’apparat comme les uniformes des gad’z’arts, les toges d’ordre de Belgique, …). Si l’on revient à Mary Douglas, la saleté fait l’effet d’une armure protectrice symbolique, préservant du froid ou de la vermine.

La première chose que fera un jeune ayant reçu sa penne sera de la trainer dans la boue près du lieu de réception. C’est pour se rapprocher encore de l’apparence des plus anciens en tentant d’acquérir avant l’heure, de manière superstitieuse, un peu de leur savoir. Plus les oripeaux sont souillés, plus l’aura de prestige de l’individu sera visible. Si en plus, la coiffe de ce dernier porte la marque de longues études réussies et d’une vie de traditions trépidante, il sera honoré comme un être quasi mythique au sein de son groupe. Lorsqu’il arrêtera de fréquenter les lieux pour entrer pleinement dans la vie « active », il sera perçu comme un ancien de valeur avant de retomber dans l’origine mythique avec les nouvelles générations. « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. » (Genèse 3,19).

La souillure n’est donc pas perçue comme un rabaissement du corps étranger, mais participe d’une incorporation inconditionnelle, à laquelle, une fois initié, le novice décidera ou non de se soumettre de façon personnelle.

Commandant RoSWeLL

Artiste plasticien traitant des rites d'initiation étudiants européens depuis 1987
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